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Donnons à l’Art et Essai sa juste valeur

La nouvelle est tombée au début du mois de mars, le ministère de la Culture verra son budget amputé de 201 millions d’euros pour l’année 2024. Après une hausse annoncée de 6 %, qui lui aurait permis d’atteindre un niveau historique, c’est finalement une baisse de 83 % du budget qui va s’opérer à la suite des décisions de Bercy. Très rapidement à la suite de cette annonce, la ministre Rachida Dati annonçait avoir pris la décision de piocher dans la réserve de précaution pour que cette baisse impacte le moins possible les acteur·rices de la culture.
À l’AFCAE, nous l’avons mis en regard avec un autre budget, celui du CNC (700 M€) et particulièrement celui de l’enveloppe Art et Essai. De 16,5 M€ en 2017, elle est passée à 18,5 M€ en 2020, une hausse importante portée par le plan de relance mais qui ne suffisait toujours pas à récompenser les salles classées à la hauteur de leur travail et obligeait le CNC à un écrêtement drastique et uniforme. Avec le risque toujours présent, dans un temps de contraintes budgétaires, de revenir aux sommes d’avant Covid. À l’heure de la réforme du classement Art et Essai, faisons d’autres comptes, culturels et sociaux ceux-là : qu’attend-on des salles Art et Essai aujourd’hui ?
En premier lieu, de défendre un modèle unique au monde, celui qui permet la diffusion de plus de 400 films recommandés chaque année sur les 700 films qui sortent sur les écrans. Cela dans les grandes, moyennes agglomérations, pratiquement toutes pourvues en salles indépendantes Art et Essai, mais aussi sur le reste du territoire, dans les zones les plus reculées, et même là où les points de diffusion fixes n’existent pas.
Nos spectateur·rices accueillent depuis des décennies la diversité de la production mondiale et composent le public le plus cinéphile au monde. Les grand·es auteur·rices étranger·es parfois boudé·es dans leur pays d’origine trouvent en France une reconnaissance et un respect de leurs films considérés ici comme des oeuvres artistiques, projetées dans leur écrin naturel : la salle de cinéma. La multiplicité des rencontres, des animations, des débats, des ateliers sont le battement de coeur du mouvement Art et Essai. La dynamique qui commence dans les grandes villes irrigue tout le territoire et profite à toute la filière.
Aucun autre pays au monde ne peut se vanter d’avoir un réseau de salles aussi étendu et aussi diversifié. Pour rappel sur les 1 300 salles classées, 223 sont en catégorie D (moins de 100 000 habitants) et 700 sont en catégorie E (moins de 20 000 habitants et zones rurales). Aucune autre campagne européenne ne vous permettra, au détour d’un village ou après l’installation d’un camion itinérant, de découvrir une séance de cinéma en train de démarrer avec sa file d’attente sur le trottoir. À l’intérieur de la politique culturelle actuelle, cet ancrage dans les territoires ruraux et dans les petites villes fait partie de notre richesse. Le Printemps de la ruralité ne se fera pas sans nous et sans les associations territoriales qui oeuvrent auprès des salles. Parmi ces 400 films recommandés Art et Essai, plus de la moitié sortent sur une petite combinaison de sortie et/ou labellisés « Recherche et Découverte ». Ce sont souvent des premiers films, des documentaires, des oeuvres plus fragiles dont le public ne s’empare pas naturellement et pour lesquelles il faut, par la programmation et l’animation, défendre chaque séance.
Le rapport de Bruno Lasserre indiquait d’ailleurs : ce sont les salles Art et Essai qui « valorisent davantage les films au potentiel commercial plus faible1 ». C’est un vrai choix éditorial, un travail de programmation proche de l’orfèvrerie que de donner à chaque film la juste place et les séances les plus adaptées pour qu’il rencontre un public. Les salles Art et Essai portent pour la majorité les dispositifs d’éducation au cinéma, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Leur implication au quotidien auprès des enseignant·es, des éducateur·rices, des animateur·rices en fait le socle de l’éducation artistique et culturelle souhaitée par les différents gouvernements depuis plus de 30 ans. Pourtant, une partie de la baisse du budget du ministère impacterait « le financement dévolu à la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture2 ». Le signal est inquiétant en ces temps où l’ouverture culturelle devrait être une priorité nationale pour s’opposer à toutes formes de populismes et d’obscurantismes. Le ministère prône par ailleurs une meilleure éditorialisation des offres sur le pass Culture. Nous ne pouvons qu’être en accord avec cette proposition. Concernant la part collective, l’AFCAE a fait remonter au ministère, au CNC et au pass Culture, des offres à des tarifs très au-dessus de la moyenne sur des films ou des activités qui, de notre point de vue, ne relèvent en rien de « l’accès à la culture et de la diversification des pratiques culturelles ». Par exemple, une séance d’un film très grand public non recommandé Art et Essai, au tarif groupe de 10 € le billet, ne nous semble pas entrer dans le cadre « d’une mission d’intérêt général ».
Diversité culturelle unique au monde, maillage territorial au plus profond des territoires, valorisation des films les plus fragiles et des auteur·rices de demain, éducation au cinéma et formation des jeunes spectateur·rices, voilà les missions des salles Art et Essai aujourd’hui. Vous l’aurez donc compris, il ne me semble pas vain à l’heure de l’annonce par le CNC d’une réforme Art et Essai qui tend vers plus de sélectivité de demander également, et à travers ces quelques exemples, une augmentation significative de la subvention Art et Essai, à la hauteur des enjeux que portent nos salles.
Et c’est bien à Cannes que les annonces devraient être faites. Nous allons nous y retrouver pour les 33e Rencontres nationales Art et Essai organisées par l’AFCAE. Au moment d’écrire ces lignes, le programme des films n’est pas encore connu, mais je ne doute pas qu’il nous prouvera la vitalité du cinéma et la nécessité de le vivre ensemble. Ces Rencontres, nous les organisons pour les temps d’échanges politiques, mais aussi pour les moments de convivialité et d’échanges informels qui sont nécessaires. Je vous donne rendez-vous, cher·es adhérent·es, tout au long de ces deux semaines, à l’appartement de l’AFCAE ou au détour d’une séance pour échanger avec les administrateur·rices et l’équipe de l’AFCAE.
Bon festival !

Guillaume Bachy, président de l'AFCAE

Edito

Donnons à l’Art et Essai sa juste valeur

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