Novembre 2014
Vent d'automne libéral
Depuis de nombreuses années maintenant, l’AFCAE intervient régulièrement, lorsqu’elle est sollicitée par un adhérent, auprès de la Commission nationale d’aménagement cinématographique (CNAC) pour défendre le pluralisme des acteurs de la diffusion, la diversité des films, ainsi que l’aménagement culturel et social du territoire.
C’est là un combat de longue haleine, et qui nécessite de la pédagogie, afin de préserver ce maillage de salles exceptionnel que nous envient de nombreux pays. Les élus locaux y sont, en règle générale, également particulièrement attachés, pour tout ce que cela apporte sur leurs territoires – au-delà même des aspects économiques – en termes d’animation et de lien social. Et il n’est pas inutile de rappeler que la diversité et l’aménagement du territoire existants reposent, très concrètement, sur les salles Art et Essai indépendantes, qui ne se contentent pas de proposer à leurs publics des films et une ligne éditoriale, mais aussi des animations, des débats, un accompagnement des oeuvres… On peut encore y ajouter tout le travail d’éducation à l’image auprès des plus jeunes, sur le temps de loisirs comme sur le temps scolaire. Or – est-il besoin de le souligner ? –, ce travail de diffusion culturelle par le film reste fondamentalement différent de celui des grandes enseignes…
C’est là profondément ce qui nous motive – la reconnaissance des valeurs qui nous unissent au sein du mouvement Art et Essai, quel que soit notre statut (privé, associatif ou public) – lorsque nous intervenons pour soutenir le recours ou l’audition d’une salle adhérente devant la CNAC. Cette motivation était la même lorsque nous avons dénoncé, des années durant, la réforme d’inspiration libérale de 2008, qui a grandement favorisé la création de multiplexes et le développement de la concentration, au détriment des salles que nous représentons. On en voit aujourd’hui le résultat dans toutes les zones où la concurrence est forte : l’accès aux films Art et Essai « porteurs » ou « attendus » devient de plus en plus compliqué – parfois impossible – pour les salles Art et Essai indépendantes, dont le nombre diminue, lentement mais sûrement, dans les grandes villes. Lors du débat sur l’exploitation organisé à Dijon par l’ARP, un distributeur – dont la qualité du travail n’est plus à démontrer – a très clairement regretté le nombre de multiplexes dans certaines zones et les conséquences qui en découlent en matière de structure du parc cinématographique, de programmation et de surexposition de certains films.
Pour ces raisons, nous avions accueilli très favorablement, emplis d’espoir, l’annonce d’une mission confiée à Serge Lagauche sur le dispositif d’aménagement cinématographique du territoire. Et nous avons salué les conclusions et préconisations du rapport remis par l’ancien Sénateur aux pouvoirs publics, en appelant à une mise en oeuvre rapide des mesures proposées. C’est en partie chose faite avec la loi « Pinel » du 18 juin 2014 et nous attendons avec impatience les mesures d’application qui doivent entrer en vigueur avant le début de l’année prochaine.
Dans un tel contexte, à l’heure où le législateur montre sa volonté d’une plus grande régulation, où les discussions entamées dans le cadre des Assises du cinéma vont dans le même sens, nous avons été surpris du sens des dernières décisions de la CNAC qui nous a semblé revenir à une conception plus libérale dans des zones où l’offre cinématographique est déjà abondante, quantitativement et qualitativement. Et ce, quand bien même ces autorisations auraient été accordées au regard d’engagements de programmation spécifiques, sur lesquels nous restons néanmoins dubitatifs quant à leur mise en oeuvre concrète et leur efficience à long terme.
Il nous faut donc rester aujourd’hui particulièrement vigilants et mobilisés sur ce terrain de l’aménagement cinématographique, la régulation en ce domaine demeurant l’un des piliers pour assurer la pérennité de nos salles Art et Essai.
Patrick Brouiller, président de l’AFCAE