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Droits de réponse

Encore un édito sur Netflix ? Eh oui. Après que le projet de Festival Netflix dans les cinémas indépendants de grandes villes a provoqué une levée de boucliers des organisations professionnelles, après que la multinationale a renoncé à cette formule pour annoncer un Netflix Film Club à la Cinémathèque française et à l’Institut Lumière début décembre, il nous semble opportun de revenir sur le sujet et particulièrement sur son aspect médiatique. Chacun aura compris que la bataille n’était pas seulement économique, mais fortement symbolique et politique. Nous avons été nombreux à être consternés par quelques réactions de journalistes bien connus sur la place parisienne. Comme si la réussite commerciale de la multinationale provoquait une fascination propre à diminuer toute forme de questionnement et d’analyse. Explications et droits de réponse en 3 parties.

1. Lundi 18 octobre. France Inter. Nicolas Demorand reçoit Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture, dans son 7 – 9. Après un passage sur le triomphe de Squid Game et son interdiction aux moins de 16 ans non respectée par les adolescents, le journaliste lance à la Ministre : « L’attrait de Netflix pour un jeune acteur, une jeune réalisatrice n’est-il pas irrésistible au fond, quand on veut, quand on peut faire des séries, plus rapidement, plus librement ? ». Netflix plus rapide ? Ah oui, pour la rapidité, il vaut mieux un seul interlocuteur comme Netflix que faire la queue devant tous les guichets (Avance sur recettes, Canal+, Soficas, …) pendant de longs mois. Mais plus libre ? D’où vient cette affirmation ? De quels témoignages, de quelle enquête ? France Inter aurait-il eu accès à des exemples de contrats de réalisateur et a-t-il pu les comparer avec des contrats classiques ? Les producteurs et les jeunes cinéastes associés à la multinationale travaillent-ils vraiment dans de meilleures conditions que chez des opérateurs historiques ? Aucun papier d’investigation sur le sujet à l’horizon. C’est certain que quand on s’appelle Scorsese ou Jane Campion, on doit être assez libre après avoir signé avec la plateforme qui est toute heureuse d’avoir décroché un nom prestigieux. Mais pour les autres ? En regardant les pages d’accueil de la plateforme avec ses nombreux films de genres, des schémas scénaristiques reproductibles et des thématiques qui évitent soigneusement certaines questions politiques, on a du mal à croire cette affirmation de liberté. Comme les grandes puissances politiques sont adeptes de la « Real politic », Netflix est adepte de la « Real economy ». Autrement dit, il s’agit de ne pas se fâcher avec la Chine, la Russie qui représentent des marchés juteux. Tout film ou épisode de série susceptible de heurter les politiques de ces grandes démocraties est donc tout simplement banni, au moins sur les territoires concernés. Ce n’est pas demain la veille que Netflix produira un film taïwanais ou un documentaire sur les Ouïghours (contrairement à ARTE par exemple). Et pourtant, ce 18 octobre, le service public certifiait auprès de quatre millions d’auditeurs que Netflix était « plus libre ».

2. Vendredi 29 octobre, Didier Péron, dans Libération publie un édito intitulé « Fin de partix pour le « Festival Netflix ». Le journaliste résume les événements dans le style Libé : « MK2 et Utopia tels des gamins pris dans le pot de confiture », donne des précisions sur les séances, les visas, qualifie la Cinémathèque et l’Institut Lumière de « pas bégueules », balance un méli-mélo de citations, de communiqués et conclut : « C’est une guerre de position, un moment Squid Game où chacun essaie de savoir s’il va pouvoir, et pour combien de temps, imposer sa règle du jeu ». Certes. Mais quel est le point de vue du journaliste, son analyse ? En fait, il n’y en a pas. C’est un compte-rendu, pas un édito. Osons une hypothèse. Si le journaliste prend un peu le parti de Netflix, il risque de passer pour un affreux libéral et de se mettre à dos son nombreux lectorat « cultureux » qui travaille dans le cinéma et l’audiovisuel. S’il prend un peu le parti des historiques du cinéma, il passe pour un affreux dinosaure qui ne sait pas se mettre à la page et s’aliène un public encore plus nombreux abonné à la plateforme. Donc on ne se mouille guère.

3. Enfin, le vendredi 28 octobre également, Michel Guerrin dans sa chronique hebdomadaire titrait « Netflix et le psychodrame français ». Ici au moins, il y a une prise de position ! Déjà le titre : s’il y a psychodrame, il est du côté français ! L’idée que le projet de Festival Netflix, daté en décembre, dans des cinémas emblématiques pouvait être vécu comme une provocation par des distributeurs fragilisés par des mois de fermeture n’a pas effleuré une seule seconde, visiblement, le journaliste. Non, le chroniqueur résume en deux intertitres : « La plate-forme souhaitait présenter, mi-décembre, certains de ses nouveaux films dans une dizaine de salles », (autrement dit elle ne demandait pas grand chose) et « On peut se demander si le combat français des salles n’est pas celui d’un village gaulois ». Traduction : les salles sont has been. C’est que Michel Guerrin a une tendance à dénigrer de manière un peu systématique le modèle du cinéma français. En 2019, il soulignait ses manques en faisant l’éloge de la Palme d’or Parasite. En 2021, le cinéma français remporte coup sur coup la palme d’or (Titane de Julia Ducourneau) et le Lion d’or (L’Événement de Audrey Diwan) : on attend toujours la chronique de Michel Guerrin qui saluera cet exceptionnel doublé au féminin.  Le « village gaulois » est celui des frères Lumière et du Festival de Cannes, il dispose du plus beau parc de salles en Europe, du meilleur taux de fréquentation (y compris aujourd’hui), d’un niveau de production exceptionnel avec une diversité de talents sans équivalent dans le monde. Surtout, Michel Guerrin et Didier Péron oublient le fait essentiel de ladite semaine écoulée : c’est qu’en une poignée de communiqués et en trois jours à peine, les distributeurs-exploitants-producteurs (le « village gaulois » donc) ont fait reculer la multinationale aux 210 millions d’abonnés qui s’est retranchée dans deux lieux culturels emblématiques pour son Netflix Film Club. La multinationale n’est pas infaillible.

Mais le plus beau dans l’article de Michel Guerrin, c’est sa conclusion : « Car tout de même on marche sur la tête quand des longs-métrages signés Campion, Scorsese, Cuaron, Sorrentino ne peuvent pas être appréciés pour ce qu’ils sont : des œuvres pour le grand écran ». D’une part, il n’est pas à une contradiction près puisque, quelques lignes plus haut, il écrit « un film reste un film, le grand et le petit écran se ressemblent » ; et, d’autre part, il laisse entendre que c’est bien dommage qu’il y ait tout ce ramdam car, au fond, grâce à Netflix, on aurait pu voir les films de grands cinéastes en salle ! Nous sommes obligés de dire que le journaliste n’a rien compris à ce qui se passe depuis plusieurs années ou, plutôt, qu’il ne veut rien comprendre. Le modèle de Netflix est FONDAMENTALEMENT basé sur une exclusivité totale À DOMICILE, au profit d’un seul opérateur, la poignée de séances en festivals est un alibi pour journalistes.

Netflix a bâti sa recette sur l’idée que la salle doit être sacrifiée, que le système de la chronologie des médias ralentit la diffusion des films qui sortent en salles et qu’il faut la combattre. La vérité est que si les « films Netflix », ne peuvent être vus en salle la responsabilité en incombe à Netflix et aux cinéastes concernés. Michel Guerrin a tout simplement RETOURNÉ la responsabilité de l’absence d’accès aux œuvres en salle de quelques grands cinéastes et de Netflix vers les opérateurs historiques.

L’AFCAE vient de publier une lettre ouverte demandant à la Cinémathèque et à l’Institut Lumière de décliner la programmation du Netflix Film Club, ces institutions largement financées par des fonds publics n’ayant pas vocation à faire la promotion d’une multinationale.

François Aymé
Président de l'AFCAE

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