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Servir les films


En cette rentrée, pas moins de trois rapports ou recommandations sur des sujets sensibles liés à la diffusion des films font déjà l’actualité.

1er sujet : la recommandation de la Médiateur du cinéma liée à la programmation des cinémas de 2 et 3 écrans. Nous nous réjouissons de ce texte. Par un travail statistique inédit, il démontre que, contrairement à une idée reçue, l’exposition en plein programme dans les petits cinémas n’est pas la solution optimale pour valoriser les films. Au contraire, la Médiateur constate que, dans la grande majorité des cas, la programmation d’un film en sortie nationale dans ces établissements, complétée par la projection d’autres titres, générait, sur l’ensemble de la carrière du film et pour cette salle, un nombre d’entrées supérieur et une exposition plus longue. A la condition expresse que les séances proposées soient suffisantes en nombre et en qualité, proportionnées au potentiel du film et de la salle, et bien annoncées. Cette conclusion est logique : un cinéma est d’autant plus attrayant qu’il offre un choix minimum à tous les publics. Comment expliquer à ces publics, aux attentes diverses, habitués à une offre pléthorique (dans d’autres salles et sur d’autres supports), que pour le cinéma à côté, il n’y a que deux écrans et donc, que deux films par semaine. On soulignera l’importance de cette recommandation qui, en s’ajoutant à celle consacrée l’an dernier aux mono-écrans, concernent les ¾ des cinémas en France ! C’est un bel outil. Encore faut-il s’en servir. Les habitudes ont la peau dure et les résistances, malgré les faits établis, seront nombreuses. Aux exploitants et programmateurs concernés de s’appuyer sur ce texte pour aller en médiation lorsque c’est nécessaire. La déclinaison mécanique du plein programme des grandes villes et des grands cinémas aux petites villes et petits cinémas relève plus de l’habitude et du bon vouloir du plus fort que de la recherche de la meilleure stratégie pour les films.

2ème sujet : le financement de la deuxième génération du matériel de projection numérique. Notre accueil du rapport de la mission est plus contrasté. Nous partageons l’analyse selon laquelle le financement de l’équipement doit être clairement dissocié de la programmation, ce qui n’a pas été le cas avec le système initial qui a relégué en 5ème semaine la diffusion dans des centaines de cinémas, en cristallisant une exploitation à deux vitesses. Nous entendons le fait que la loi initiale était consacrée à la première génération, que le coût du matériel a sensiblement baissé, que la mise en place de formations spécifiques serait utile et que, pour une partie de l’exploitation, le passage au numérique a généré de substantielles économies de personnel. En revanche, pour la majeure partie des cinémas indépendants, les économies ne sont pas significatives, les recettes publicitaires sont restées stables et il n’y a pas eu d’amélioration dans l’accès aux films, ce qui était pour beaucoup la principale motivation du passage au numérique. La situation de la distribution est aujourd’hui difficile et cela doit être pris en compte. Les économies réalisées sur l’édition des copies ont été malheureusement compensées par l’explosion des frais de promotion. C’est un problème spécifique, indépendant de la question de la projection numérique qui doit donc être traité de manière dissociée. En clair, l’exploitation indépendante n’est pas responsable de l’inflation du coût de la diffusion des bandes annonces et le comble serait qu’elle en soit pénalisée. Le principe de solidarité de la filière face à la mutation numérique reste d’actualité et la question aujourd’hui est de savoir dans quelles proportions, auprès de qui et sous quelles modalités. Dorénavant, le renouvellement du matériel interviendra dans des délais nettement plus raccourcis qu’avec le 35mm et générera une charge nette supplémentaire pour une grande part de l’exploitation (ce que dit le rapport). Compte tenu de l’importance de l’enveloppe globale des contributions numériques (des dizaines de millions d’euros par an), nous considérons que ce rapport est une première étape dans la réflexion. Il est nécessaire d’approfondir la question du renouvellement, en particulier pour les salles à l’économie la plus fragile. Le rapport évoque la possibilité de s’appuyer sur les dispositifs d’aides existants. Cela sera nécessaire mais est-ce que cela sera suffisant ? Un autre point mérite une vigilance particulière : celle de l’équilibre des relations distributeurs-exploitants quand le coût de la copie sera devenu résiduel.

3ème sujet : la chronologie des médias. Nous sommes au début d’une nouvelle phase de concertation. La position de l’AFCAE a été développée dans le précédent édito : la préservation de l’esprit et des principes, la modulation des règles. Pour les principes : le Sénat a rappelé cet été la primauté de la salle et le fait que le droit de diffuser les films dans des conditions privilégiées était lié à la participation à leur financement. Tant mieux. Mais l’application des principes reste à suivre attentivement. On comprend bien que ce qui est à l’œuvre est l’affrontement de plusieurs logiques : un principe de régulation face à une logique économique libérale inspirée du modèle anglo-saxon ; des raisonnements à court-terme basés sur un rapport économique et consumériste face à un éco-système économique durable tenant compte de la spécificité culturelle et sociale du secteur. Servir les films ou se servir des films. Servir les publics ou se servir des publics. Paramètre politique fondamental supplémentaire : l’obligation pour les opérateurs ayant une activité en France de s’acquitter des taxes afférant à ces activités. Avant de recevoir une aide du CNC, un cinéma doit être à jour du paiement de sa TSA, participant ainsi au financement de tout le secteur. Il est scandaleux que les opérateurs les plus puissants s’affranchissent de leurs obligations fiscales en pratiquant ce que l’on appelle pudiquement « l’optimisation fiscale », ce qui est, en bon français, un détournement d’argent destiné à la puissance publique.

Ce qui se joue également dans les débats, c’est une question d’image et un rapport au temps. L’impératif de l’urgence, de l’immédiateté, de la modernité est régulièrement invoqué pour justifier des politiques libérales. Ainsi, on serait plus « à la page » en regardant un film chez soi, tout seul, sur un petit écran au moment de sa sortie qu’en allant dans un lieu culturel partager une séance collective sur grand écran. N’y a-t-il pas là une confusion des valeurs et, pour tout dire, une escroquerie intellectuelle dont les médias se font régulièrement les complices. L’AFCAE fête en septembre les 20 ans des Rencontres Nationales Art et Essai Jeune Public au cinéma Le Méliès à Montreuil. Nous y accueillerons Michel Ocelot, Rémi Chayé, Marek Benes, Clémentine Robach et plus de 300 exploitants (parmi les 600 cinémas labellisées Jeune Public). 20 ans : on se souvient de la sortie de Kirikou et la sorcière, 50 copies dans les salles Art et Essai, plus d’un million d’entrées. La démonstration que le cinéma d’animation français pouvait être ambitieux, toucher un large public et se faire une place dans ce que l’on considérait comme le domaine réservé des américains et des japonais. Pendant 20 ans, les producteurs, les réalisateurs, les distributeurs et les salles ont accompli un travail constant collectif qui a porté ses fruits de manière éclatante (Ma vie de courgette, Le Grand méchant Renard, …). L’AFCAE, avec son groupe Jeune Public, ses documents, ses visionnements, ses ateliers, ses formations, l’émulation que cela a généré, a été moteur dans ce mouvement. Merci à Alain Bouffartigue, à Guillaume Bachy d’avoir coordonné ce travail. Merci aux membres du groupe et au personnel de s’y être investis, au CNC de nous avoir soutenus. Ce travail se fait de manière discrète, les médias accordant peu des places aux œuvres destinées aux enfants, mais c’est porteur d’avenir. Nous en sommes particulièrement fiers.

François Aymé
Président de l'AFCAE

 

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