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Juin-juillet 2016

MISSION ART ET ESSAI RAUDE :

DES PROPOSITIONS PERTINENTES ET DES CHOIX POLITIQUES A VENIR

D’ici quelques mois, le CNC mettra en oeuvre une réforme de
« simplification et de modernisation » du classement Art et Essai des salles de cinéma, réforme issue en large partie de la mission confiée à Patrick Raude. Nous tenons tout d’abord à saluer l’initiative du CNC. Car si les principes fondateurs du classement (à savoir le caractère progressif et incitatif des aides qui tiennent compte des potentiels, des moyens et des spécificités de chaque établissement) demeurent aussi vertueux qu’efficaces, il était nécessaire de simplifier un système qui s’était alourdi et complexifié, tout en l’adaptant à l’évolution du travail des salles ainsi qu’aux nouveaux contextes de diffusion. Nous tenons également à remercier ici Patrick Raude, pour l’esprit d’écoute et d’ouverture dont il a fait preuve et, bien entendu, pour la pertinence de ses propositions.

Pour notre part, nous soutenons clairement les propositions de simplification, l’aide et la valorisation ciblée du travail qualitatif des salles ainsi que la meilleure prise en compte de certaines contraintes. Néanmoins, il appartient aujourd’hui au CNC d’arbitrer sur plusieurs points essentiels auxquels nous sommes particulièrement attachés.

DES MESURES DE SIMPLIFICATION PRAGMATIQUES

Concernant la simplification du classement, les propositions de Patrick Raude sont pragmatiques et pleines de bon sens. Elles ont d’ailleurs recueilli un large consensus auprès des organisations professionnelles et du CNC, avec quelques ajustements notables. Il est donc envisagé que la période de référence pour le classement Art et Essai soit de deux années civiles consécutives. L’année civile permet une meilleure appréciation statistique des données, la période de deux ans qui s’appuie sur le fait que les aides sont extrêmement stables d’une année sur l’autre permet un allègement du travail administratif et donne à la salle une meilleure visibilité sur ses aides à venir, notamment auprès des banques et des collectivités. Il est également envisagé que les formations régionales (réduites au nombre de cinq) de la nouvelle Commision Art et Essai aient une existence juridique, qu’elles se déroulent en présence du président ou vice-président de cette Commission et que la formation nationale soit exclusivement dévolue à une fonction d’appel. Les données budgétaires demandées aux salles devraient également être simplifiées (avec notamment un ratio sur le chiffre d’affaires pour les subventions et recettes annexes), l’instruction des dossiers des salles aux aides les plus modestes (moins de 4 000 euros) devrait être anticipée par le personnel du CNC. L’objectif de ces dernières mesures étant de donner un temps d’appréciation suffisant à la Commission afin que ses membres soient en mesure de mieux apprécier la diversité de la programmation et le travail d’accompagnement accompli par l’établissement.

DES NOUVEAUX CRITÈRES D’APPRÉCIATION PERTINENTS À FINANCER

Pour une meilleure reconnaissance du travail de chaque cinéma et même une incitation à l’améliorer, M. Raude propose pour les critères d’appréciation quatre modifications que nous soutenons également. À savoir : la bonification pour les séances de films « Recherche et découverte » (sur des sorties nationales à moins de 70 copies), la valorisation financière pour l’obtention de chacun des trois labels (Jeune Public, Patrimoine/Répertoire, Recherche et Découverte), la prise en compte du travail d’éducation au cinéma dans le coefficient majorateur et, enfin, une revalorisation du coefficient multiplicateur des établissements de 1 à 3 écrans, afin de mieux tenir compte de leurs contraintes. Néanmoins, nous attirons l’attention de nos adhérents et du CNC sur le fait que l’impact et l’efficacité de ces quatre mesures seront directement liés à l’évolution de l’enveloppe globale du classement des salles.

DEUX PROPOSITIONS FORTES ET BIEN CIBLÉES

De manière connexe au classement Art et Essai, Patrick Raude a également fait deux propositions fortes, claires et bien ciblées. La première : l’élargissement de l’aide à la programmation difficile (aujourd’hui réservée pour une large part aux cinémas parisiens) vers les indépendants des centres-villes des métropoles. Nombre de ces cinémas, stratégiques pour toute la filière Art et Essai, connaissent en effet des situations financières difficiles liées aux coûts prohibitifs de l’immobilier et aux phénomènes de concentration. La seconde constitue d’ores et déjà un véritable pas en avant politique puisqu’il s’agit du co-financement de postes de médiateurs culturels dans le cadre des prochaines conventions triennales État-CNC-Région qui verront le jour en 2017. Frédérique Bredin a publiquement annoncé le mardi 5 juillet dernier, à Lille, la participation au financement (à hauteur de 25%) de 300 postes à venir par le CNC. Les Régions participant à ce dispositif prendraient en charge 50% des charges salariales, l’employeur (un cinéma, une association de salles) finançant les 25% restant. Ce nouveau dispositif, proposé initialement par l’AFCAE en concertation avec les associations régionales, peut être décisif pour le travail quotidien de nombreux sites. Chacun sait que, pour une grande majorité de titres, c’est le travail d’accompagnement, d’animation, de communication (notamment numérique) qui peut susciter une fréquentation significative et, bien souvent, les cinémas n’ont pas les moyens de financer le poste idoine.

TROIS POINTS POLITIQUES À TRANCHER

Le premier point correspond à la proposition N°1 de Patrick Raude :
« Porter l’enveloppe Art et essai à 16Me à terme dont 15,5Me pour le classement 2016 qui interviendra en 2017. » Pour mémoire, l’enveloppe actuelle est de 14,5 millions d’euros, elle représente 2% du budget du CNC. Nous touchons là à l’un des points fondamentaux de la réforme. En effet, l’ampleur du réseau Art et Essai, sa dimension massive (1 150 établissements) implique que toute réforme ambitieuse soit accompagnée d’une hausse sensible de l’enveloppe. Dans ce contexte, le premier risque à éviter est que les valorisations financières obtenues par les salles qui font pourtant un travail conséquent soient de l’ordre du symbolique, suscitant alors une légitime déception, n’ayant ni le caractère incitatif espéré, ni l’efficacité escomptée. Le second risque est de financer ces mesures « en déshabillant certaines salles pour en habiller d’autres », avec comme conséquence probable la déstabilisation du système et la mise en danger de l’unité du mouvement Art et Essai. Malgré le contexte financier, si l’ambition du CNC est bien d’appliquer l’esprit et les mesures de la mission Raude (la valorisation financière de la diffusion des films Recherche, des labels, une meilleure prise en compte des contraintes des petits établissements), alors une hausse sensible de l’enveloppe est nécessaire.

Sur ce sujet, Patrick Raude propose d’appliquer un « coefficient de proportionnalité ». Il s’agirait de partir d’une enveloppe globale constante d’une année sur l’autre (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui). Ainsi, à l’issue du travail de la Commission, dans le cas où la somme des aides serait supérieure à l’enveloppe préalablement définie, ce coefficient de proportionnalité diminuerait les aides de chaque salle « à proportion » de leur ratio par rapport à l’enveloppe globale. L’AFCAE est radicalement défavorable à cette mesure qui remettrait en cause le caractère incitatif du classement. L’application de ce « coefficient de proportionnalité » pourrait avoir comme conséquence que l’amélioration du travail d’un cinéma ne soit pas suivie d’effet financier. C’est le principe efficace d’émulation, avec une enveloppe globale qui a progressé au fur et à mesure que le travail des salles se bonifiait, qui a fait que le réseau Art et Essai français est aujourd’hui sans équivalent dans le monde. Avec la mise en place du « coefficient de proportionnalité », c’est l’étroite corrélation entre l’évolution du travail de diffusion des salles et l’évolution de l’enveloppe qui serait rompue. Le Conseil d’administration défend le principe que « d’une année sur l’autre, à travail Art et Essai égal, aide Art et Essai égale ».

Le dernier point, fondamental, correspond à la proposition N°2 de Patrick Raude, à savoir, pour la première partie de la proposition :
« Appliquer des seuils-planchers en pourcentage de séances Art et Essai pour les salles des catégories C, D, E. » Derrière ce libellé technique, se cache une question de fond éminemment politique qui n’a pas échappé à Patrick Raude. La question posée est la suivante :
« Comment définit-on un cinéma Art et Essai ? À partir de quel seuil considère-t-on qu’un cinéma est classé Art et Essai ou pas ? » Aujourd’hui, pour Paris et les métropoles (salles de catégorie A), les cinémas doivent diffuser au moins 70% de séances de films recommandés Art et Essai ; pour les grandes villes (salles de catégorie B), le seuil est de 55%. Dans les deux cas, le système est clair, simple et n’est remis en cause par personne. En revanche, le système est complètement différent pour les salles des villes de périphérie (catégorie C), des villes moyennes (catégorie D) et des petites villes et zones rurales (catégorie E), soit au total 90% des établissements classés ! Dans chacune de ces catégories, les salles doivent atteindre un indice différent. L’indice d’un cinéma est « établi à partir du ratio entre le nombre de séances Art et Essai divisé par la moyenne de séances organisées par écran multiplié par un coefficient multiplicateur pour compenser l’effet cumulatif du nombre d’écrans ». Le système actuel pour les cinémas « hors grandes villes » comporte trois défauts. Le double système du pourcentage et de l’indice est incohérent, il n’y a pas de raison objective à ce qu’il y ait un traitement différencié entre les grandes villes et les autres unités urbaines. Le système de l’indice est illisible, ce qui pose de véritables problèmes de compréhension et de communication sur ce qu’est une salle Art et Essai, auprès des professionnels, sans parler de la presse, des élus… Le système de l’indice est inéquitable car, de fait, derrière le calcul de l’indice se cachent des pourcentages minima qui varient en fonction du nombre d’écrans de l’établissement. Aujourd’hui, en catégorie C, D, E, plus un cinéma a d’écrans, moins il doit faire de séances Art et Essai en pourcentage ! Ainsi, en catégorie C, un mono-écran doit-il programmer 37,5% de séances Art et Essai pour être classé, un cinéma de 3 écrans 18,70%, un cinéma de 6 écrans 12,5% et un cinéma de 9 écrans 8,3%. On le voit, les seuils sont très différents et très bas pour les établissements les plus importants, alors qu’il est exigé des mono-écrans le pourcentage le plus important. L’AFCAE propose un seuil plancher de 20% pour l’ensemble des cinémas « hors grandes villes ». Ce seuil correspond au marché actuel de l’Art et Essai en France. Nous proposons une dérogation pour les cinémas qui, en valeur absolue, proposent à leur public une offre importante de séances Art et Essai (1 500 annuelles pour les catégories C et D, 500 pour les catégories E). L’inquiétude de certains au sujet de cette proposition est que cela provoque la sortie du classement de certaines salles. Comme Patrick Raude, nous pensons, au contraire, que cette mesure serait incitative. Nous proposons d’ailleurs cette mesure sur les classements à venir avec information vers les salles concernées. Sur ce point précis, il était de notre responsabilité d’informer nos adhérents et de confirmer au CNC l’analyse de Patrick Raude sur les anomalies du système actuel avec des seuils variables en fonction du nombre d’écrans. La proposition alternative de Patrick Raude, à savoir un classement avec abattement de 50% de la subvention Art et Essai pour les salles en deçà du seuil de 20% des séances Art et Essai, ne nous satisfait pas car, encore une fois, il ne s’agit ni d’une question technique, ni d’un enjeu financier mais d’un point politique. Pour être crédible et juste, le classement doit s’appuyer sur des critères clairs et équitables. En prenant l’initiative de la mission Raude, le CNC a créé l’opportunité de simplifier le système, de mieux valoriser le travail des salles mais aussi d’en corriger les anomalies. Nous faisons ici le souhait que chacun de ces trois objectifs puissent être simultanément atteints.

Dans le même temps, le CNC nous a sollicités au sujet de son projet de réformer la recommandation Art et Essai des films, en envisageant de la réaliser en amont de la sortie, et non pas a posteriori, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est à l’ordre du jour de notre prochain Conseil d’administration. Bonnes vacances à tous (quelle que soit votre catégorie).

François Aymé, président de l’AFCAE

 

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