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L'addiction, l'envie, le goût

Le dossier de la chronologie des médias serait en passe d’être bouclé. Le double principe de régulation et de négociation professionnelle semble avoir abouti à un compromis qui préserve l’essentiel : l’exclusivité, dans un premier temps, de la salle pendant 4 mois avec des dérogations, puis des fenêtres successives, complémentaires, qui tiennent compte de l’investissement des opérateurs dans la production. L’écosystème de la diffusion du film de cinéma s’adapterait, s’ajusterait, âprement, mais il demeurerait. Un point nécessaire. Restons néanmoins prudents en attendant l’annonce officielle.

Deux idées, qui semblent admises par tous, ont (parmi d’autres) sous-tendu les discussions. La première, c’est qu’il faut forcément qu’un film soit toujours disponible sur l’un des supports de diffusion. N’importe quel jour, à n’importe quelle heure. Cette disponibilité devrait automatiquement optimiser le nombre de spectateurs d’un film. Rappelons, tout d’abord, que l’on oublie un peu vite qu’un tiers des sorties cinéma (environ 250 films par an) ne sortent… qu’au cinéma. Qu’ils ne passent pas la rampe de la VOD ou du DVD (a fortiori des autres supports). L’économie artisanale d’une partie de l’exploitation et la curiosité du public des salles permettent leur diffusion en salles (et en festivals). Pour ces 250 titres, quel que soit les arbitrages de la chronologie des médias, c’est plus compliqué après. C’est lié au modèle économique et aux publics des autres supports de diffusion. Il est important que les producteurs, réalisateurs, acteurs… de ces films en aient conscience. Ensuite, pour voir un film, il faut en avoir envie, il faut le désirer. Le désir peut se nourrir de la frustration. La peur de « manquer » un film est particulièrement stimulante. La certitude de toujours pouvoir le voir (d’un support à un autre) peut repousser à plus tard le visionnement d’un film que l’on finira, au bout du compte, par oublier avant de l’avoir vu. Les chaines hertziennes, qui font une pause de plusieurs années entre deux diffusions de leur propre production, l’ont bien compris. Les éditeurs DVD qui orchestrent la sortie de coffrets, de versions restaurées avec bonus savent bien que le désir doit s’attiser.

L’autre idée est que les autres supports de diffusion vont « rectifier » des résultats de fréquentation en salles décevants. Chacun sait que, le plus fréquemment, le film qui a connu un succès en salles (avec la notoriété, l’image, le bouche à oreille, la presse…. apportés par le grand écran) rencontrera aussi un succès sur les autres supports et, inversement, un film cinéma passé inaperçu aura du mal à compenser sur les autres fenêtres.

Mais ce qui est frappant dans les commentaires entendus lors de la négociation autour de cette chronologie des médias, c’est l’impératif réitéré, posé comme un axiome intangible, qu’il faut « s’adapter aux nouveaux comportements de consommation de films ». C’est dit par tous les opérateurs, les politiques, les journalistes des plus grands quotidiens, les présidents des plus grands festivals… TOUT est évidemment dans le mot « consommation ». Un terme qui, pendant les années 90, au moment de la négociation du GATT et de l’exception culturelle, aurait fait bondir Bertrand Tavernier, Yves Boisset et de nombreux professionnels. Maintenant, ça passe comme une lettre à la poste. Nous avons changé d’époque. Pourtant, on ne dit pas que l’on consomme un concert de musique classique. On l’écoute. On ne dit pas que l’on consomme un grand cru classé. On le déguste. Les mots ont un sens. Et si le film est de plus en plus assimilé à un « produit de consommation courante », à un passe-temps pour temps de cerveau disponible, l’enjeu premier est de RÉSISTER à cette vision du cinéma, car elle est mortifère. Elle banalise, elle dévalorise, elle démonétise, elle désacralise le cinéma. Elle lui enlève sa saveur, sa magie, sa créativité, sa diversité. On regarde un film comme on le consomme, en l’oubliant tout de suite, avec l’idée qu’il y a une date de péremption, que tout ce qui est vieux (comprenez quelques mois) est obsolète. Rien n’est plus évanescent que la nouveauté. Et rien n’est plus antinomique avec la notion d’œuvres qui, par définition, sont faites pour passer le tamis du temps. Les professionnels du cinéma ont une part de responsabilité dans cette tendance lourde. Certains producteurs ou réalisateurs qui ont d’abord cherché à remplir des cases de programmes télé. Une partie de l’exploitation y a contribué en installant des cinémas dans des zones commerciales sans âme, avec des architectures plus proches de la grande surface que de la salle de spectacles et des comptoirs de confiserie en guise d’espace d’accueil. Sans oublier les studios hollywoodiens qui ont trop souvent oublié leur âge d’or et la magie qui allait avec. Rien de neuf dans ce constat sinon que le côté « chamboul’tout » des nouvelles pratiques donne un formidable coup d’accélérateur à la vision consumériste du cinéma. Un coup d’accélérateur regardé par la plupart des observateurs comme inéluctable. Et pourtant, il y a des cinéastes, des producteurs, des journalistes, des exploitants, des distributeurs, des directeurs de festivals, des institutionnels, des élus, des spectateurs qui ont la passion du cinéma, qui le voit encore D’ABORD comme un art. Qu’il faut défendre.

Restent trois stratégies face au public. Celle de l’addiction. Elle n’est pas nouvelle. Terriblement efficace. Il s’agit de CAPTER le spectateur. D’en faire un abonné. Si possible presque éternel. Avec le cinéma au milieu du sport et/ou des séries, non pas comme une fin mais comme un moyen. Un moyen d’augmenter le nombre d’abonnés. Un PRODUIT tête de gondole.

Deuxième stratégie. Faire envie à tout prix. Faire du mainstream. Additionner les talents, les notoriétés, les millions. Aligner des pitchs jamais lus, jamais vus. Et décrocher le jackpot.

Troisième stratégie. Donner le goût du cinéma au public et lui proposer des œuvres fortes, originales, audacieuses, personnelles. Ça prend un temps fou, une vraie exigence. Ça demande beaucoup de travail. De passion. D’accompagnement. Ça demande une régulation. Une conscience de ce que peut apporter le cinéma quand le public est curieux, ouvert à des formes, à des sujets, à des pays différents. C’est juste indispensable et c’est tout le contraire de « s’adapter aux nouveaux comportements de consommation de films ».

François Aymé
Président

Retrouvez le numéro de juillet du Courrier de l'Art et Essai (n°264)

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