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Semer et/ou récolter

Arabie Saoudite, années 80, les salles de cinémas ont complètement fermé sous la pression des ultraconservateurs, avec l’assentiment des autorités. Près de 40 ans après, depuis le vendredi 20 avril, elles sont réouvertes. En mars dernier, La Mort de Staline, tourné 65 ans après… la mort de Staline, a été interdit de projection en Russie sur ordre du Président Poutine, accessoirement ancien officier du KGB. Pour sa 71° édition, le Festival de Cannes a sélectionné deux films dont les réalisateurs sont retenus dans leur pays : le russe Kirill Serebrennikov et l’iranien Jafar Panahi. L’Arabie Saoudite, la Russie, l’Iran… Aujourd’hui comme hier, la liberté de créer, de circuler, de regarder un film dans une salle en public, ne va pas de soi. Certains chefs d’État se chargent de nous rappeler qu’on aurait tort de réduire le cinéma à un simple divertissement ou à une activité commerciale.
La culture relève bien de la politique (au bon sens du terme). Si l’on revient à notre échelle européenne, voire hexagonale, trois phénomènes structurels appellent des décisions politiques pour une régulation efficace : le chamboulement des pratiques, l’arrivée de nouveaux opérateurs et, de manière concomitante, la difficulté de renouveler le public des lieux, des médias dits traditionnels et, par là même, l’accès et le désir envers les œuvres qu’ils diffusent. Le ministère de la Culture a prévu de lancer à la rentrée un Pass culture destiné, chaque année, à tous les jeunes âgés de 18 ans pour stimuler leurs pratiques. Un pass qui leur permettra de mieux repérer géographiquement les offres culturelles et d’y avoir accès jusqu’à concurrence de 500 euros. La mesure apparaît comme forte, symbolique, généreuse. Nous sommes néanmoins dubitatifs. Outre le fait que les expériences similaires déjà menées (en Italie, en région) n’ont pas été probantes, ce Pass culture pose comme postulat que les principaux freins à des pratiques culturelles curieuses, variées, enrichissantes sont : 1. L’argent. 2. La difficulté à repérer les lieux de culture. Ceux qui travaillent au quotidien avec les publics savent que, ces obstacles levés, les « jeunes » ne vont malheureusement pas spontanément changer leurs pratiques antérieures. La découverte d’œuvres, la pratique artistique nécessitent une éducation, une sensibilisation, un accompagnement, un environnement nourri par la famille, les amis, les enseignants, les animateurs, les responsables de lieux culturels, les médias… C’est un éveil progressif, plus ou moins volontaire, qui se fait sur la durée. Le Pass culture risque seulement de développer les usages existants. De plus, ce chèque de 500€ avalise l’idée dominante que la culture relève forcément d’un comportement consumériste. Enfin, ultime réserve, mais non des moindres, le Pass culture représente un coût considérable (pas encore financé) : 850 000 jeunes x 500 euros = 425 millions d’euros ! Plus de la moitié du budget annuel du CNC. Devant un tel engagement financier, ne serait-il pas nécessaire que les lieux de culture, d’éducation, de pratiques artistiques et les médias soient considérés comme des partenaires et des acteurs de cet accès facilité des jeunes à la culture (comme c’est le cas dans d’autres domaines), plutôt que des simples prestataires aux services tarifés ? L’annonce en serait probablement moins spectaculaire, les fruits en seraient sans doute tardifs mais la maturation du goût et des usages prend du temps. 

Un « mix » entre l’idée initiale du président de la République et une démarche à moyen terme plus partenariale est-elle encore envisageable à ce stade ? L’AFCAE a été invitée à une réunion sur ce sujet en début de mois.

Les autres sujets d’actualité professionnelle ne vont pas manquer d’alimenter nos débats cannois. Quelles sont les perspectives et le calendrier de l’Observatoire mis sur pied par le CNC pour le financement du renouvellement de l’équipement numérique de la petite et moyenne exploitation ? Nous y participons et espérons des réponses concrètes pour la rentrée. Quid de la chronologie des médias ? Le compromis proposé par le Médiateur préservait, pour nous, l’essentiel : les principes et une fenêtre exclusive à 4 mois pour les salles (malgré un élargissement significatif des dérogations), un moindre mal qui relève maintenant d’un arbitrage gouvernemental. La vigilance reste donc de mise. Au chapitre des bonnes nouvelles de 2017, deux mesures stratégiques pour le long terme dont nous ferons le bilan : le lancement du financement CNC-Région de 70 postes de médiateurs culturels et l’ajustement à la hausse, en cours d’année, de l’aide sélective à la création et à la modernisation des salles. Concernant le quotidien des salles : nous évaluerons avec la Médiatrice du cinéma les effets de ses deux recommandations qui autorisent l’assouplissement de la programmation des petits établissements. Avec le CNC, un point sur la réforme en cours du classement Art et Essai est prévu, avec à la fois, une satisfaction sur la hausse de l’enveloppe globale mais une demande pour que le principe de progression des aides reste étroitement lié à la progression du travail des salles. Dans une enveloppe fixe, l’incitation à développer la diffusion de films Art et Essai (déjà effective) risque d’avoir comme conséquence paradoxale et dangereuse la baisse des aides pour les cinémas les plus investis qui, par définition, n’ont plus de marge de progression (en nombre de séances et travail d’accompagnement). Ce sera également l’occasion de présenter conjointement avec le CNC la réforme de la recommandation des films en amont de leur sortie. Objectifs : permettre la mise en œuvre des engagements de diffusion et de programmation, faciliter le travail de la Médiatrice et le respect des engagements pris en CNAC, sans oublier l’information des distributeurs et des cinémas environ six semaines avant la sortie. Les films sélectionnés en compétition des grands Festivals de Cannes, (Compétition officielle, Un Certain Regard, Quinzaine des Réalisateurs, Semaine de la Critique, ACID), de Venise, Berlin et Locarno seront recommandés automatiquement (après validation formelle du collège de recommandation) dès cette année. Les autres films seront visionnés par le collège, soit sur la plate-forme de l’AFCAE, soit lors des projections de presse. Mise en œuvre prévue à l’été 2018.
Terminons par l’actualité cannoise. Nous saluons ici la décision du Festival de Cannes de ne pas retenir en compétition de la sélection officielle les films sans distribution salles en France (comme cela avait été annoncé).

Nous approuvons pleinement la position explicitée par Thierry Frémaux : c’est bien la confirmation, pas seulement symbolique, de l’importance du statut de « film de cinéma » : le passage successif en festival, devant la presse, en salles, puis sur chacun des autres supports donne aux films une valeur, une dimension sociale, une attractivité, une mémoire collective qui le distingue justement du reste de la production. Cannes 2018, c’est aussi les 50 ans de la Quinzaine des Réalisateurs qui n’ont cessé de défricher, de dénicher des talents (cf. entretiens de Pierre-Henri Deleau et Edouard Waintrop, p.10). Pour cet anniversaire : une master class de Martin Scorsese révélé par la Quinzaine en 1974 avec Mean Streets. Martin Scorsese, dont le prochain film va justement être financé par Netflix 44 ans après. La puissance financière permet de récolter ce que les autres ont semé. Ce n’est pas nouveau. Mais qui va semer les talents de demain ? Les esprits libres, les voix qui portent. Les nouveaux Kiriil Serebennikov, Jafar Panahi. Et qui les diffusera ? Les deux questions ne sont pas accessoires, elles sont un préalable aux négociations en cours.

A suivre donc. Bon festival.

François Aymé
Président

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