Formulaire de recherche

Pour une réforme plus juste

Pour commencer cet éditorial, quelques mots sur une lutte qui dure depuis 7 mois. Regroupés dans un même mouvement, les scénaristes ont combattu et les acteur·rices américain·es se battent encore pour faire entendre leurs droits dans la filière cinéma outre-Atlantique. Cette mobilisation s’ajoute à celle des technicien·nes qui s’opposent à l’ubérisation de leurs métiers induite par les plateformes numériques et leur volonté de baisse des coûts à tout prix dans la production de leurs programmes.
Cette lutte, nous l’avons suivie avec intérêt : premièrement, parce que cela va bouleverser les plannings des sociétés de distribution et l’arrivée des films sur nos écrans ; deuxièmement car cela met en lumière l’amplification d’une certaine précarité dans la filière ; troisièmement, puisque les événements que l’on observe aux États-Unis sont parfois les prémices de mouvements identiques sur notre territoire.
Qu’un film naisse d’un scénario écrit avec ChatGPT et joué par des acteur·rices virtuel·les au pays de Beaumarchais et des frères Lumière serait un total paradoxe, mais face à la révolution numérique, rien n’est impossible. Et si nous pouvons craindre que cette situation devienne prochainement notre actualité, aujourd’hui nos enjeux sont ailleurs, car la réforme du classement Art et Essai est en marche.

Lors du congrès de la FNCF à Deauville, le président du CNC a rappelé que « l’enveloppe Art et Essai était le dispositif du CNC qui avait le plus augmenté ces dernières années », et que « si c’était possible, il ferait tout pour augmenter cette enveloppe », car « c’est une priorité du CNC et du gouvernement de travailler sur cette réforme de l’Art et Essai qui a un impact très clair sur la diffusion culturelle et l’éducation à l’image ».
Rappelons ici que le budget du soutien sélectif Art et Essai avait été porté de 16 à 16,5 millions en 2019, pour atteindre 18 millions en 2021 (avec des fonds du plan de relance) et passer à 18,5 millions pour 2023 avec l’adjonction d’une partie du Fonds Jeunes Cinéphiles.

Pour l’AFCAE, la recherche d’un classement plus juste passe par une meilleure prise en compte des territoires, de la diversité des programmations et avant tout par une plus grande reconnaissance du travail spécifique réalisé par les salles Art et Essai.
Pour être plus clair, aujourd’hui le classement Art et Essai prend en très grande majorité la programmation et très peu l’animation dans son calcul de la subvention. Le CNC avance le ratio de 80 % d’automatique et de 20 % de sélectif, soulignant la très faible prise en compte des actions des salles dans leurs classements.
À notre sens, la prime, qui vient soutenir une politique culturelle publique, doit mieux suivre les efforts des salles en termes d’accompagnements des films Art et Essai : animations, avant-premières, ateliers, organisation de rencontres, éducation aux images, dispositifs scolaires, prise en charge d’emplois et de salaires de médiateur·rices, etc.
Pour cela, tout en conservant le classement sur 2 ans, il faut revoir le mode de calcul, le nombre de commissions et un temps d’analyse plus long des dossiers pour que chaque territoire puisse bénéficier d’une étude plus fine pour un modèle plus juste : ce qui mobilise le plus d’énergie et d’investissements doit être le mieux soutenu.
Dans le même temps, et pour soutenir les salles qui prennent le plus de risques dans leurs programmations, nous proposons de mieux soutenir les films fragiles et ceux labelisés Recherche et Découverte en augmentant significativement l’enveloppe allouée.

Autre élément important que nous portons dans le cadre de la réforme : continuer à défendre le travail spécifique en direction des 15-25. Initié par les appels à projet du CNC, notamment via le Fonds Jeunes Cinéphiles, qui malgré une vraie réussite sur le terrain et la création d’un axe de travail reconnu, n’a pas été prorogé. Il nous semble que dans le futur classement, ces actions doivent recevoir une aide spécifique et être reconnues par un label comme l’est aujourd’hui le travail à destination du jeune public. C’est d’ailleurs le sens de l’arbitrage budgétaire du CNC en intégrant le Fonds Jeunes Cinéphiles dans l’enveloppe Art et Essai.

Lors de sa réflexion collective sur le classement des salles, le Conseil d’administration de l’AFCAE s’est appuyé sur l’expertise de ses membres qui siègent dans les commissions régionales et nationale. La proposition que nous avons construite s’appuie aussi sur les retours des adhérent·es qui soulignent que la grande différence entre les salles Art et Essai et d’autres types d’exploitation aujourd’hui, c’est : l’indépendance de la programmation, l’accompagnement des films et la parfaite connaissance du territoire où la salle est implantée.

À l’occasion des premières concertations, nous avons aussi partagé nos craintes sur les préconisations du rapport Lasserre qui proposait de minorer les films recommandés qui sortent à plus de 400 copies en sortie nationale. Un film Art et Essai dont le ou la distributeur·rice choisirait une sortie large vaudrait donc moins de points dans votre classement qu’un autre film recommandé. Cette préconisation nous semble faire porter un risque d’accès aux copies des films porteurs et à réduire la programmation de nos salles uniquement aux films les plus fragiles. De notre point de vue, diffuser ces films porteurs peut parfaitement s’intégrer dans une démarche et une cohérence éditoriale Art et Essai.

En résumé, la subvention Art et Essai doit soutenir à posteriori le travail des exploitant·es en diffusion et en animation, des cinémas de centre-ville aux salles les plus éloignées. Elle doit permettre un choix éditorial et des propositions audacieuses, mais ne doit pas nous obliger à une sélection élitiste. Elle ne doit pas nous couper de l’accès aux plans de sortie des distributeur·rices ou se définir par rapport à un nombre de copies qui peut varier en fonction de la concurrence, du calendrier, de la conjoncture d’événements extérieurs ; et dont les exploitant·es n’ont ni la connaissance ni la maîtrise au moment de la programmation.

J’ajoute que le nombre de films Art et Essai à plus de 400 points de diffusion en première semaine est autour de 10/15 en moyenne par an, quand le nombre de films recommandés par an est de 430. Et s’il existe une inflation croissante du nombre de copies, celle-ci n’est pas du fait des salles Art et Essai qui restent fidèles à leur ligne éditoriale, mais des autres types d’exploitation qui, pour remplir leurs nombreux écrans et modifier l’écosystème des zones à concurrence, se positionnent de plus en plus sur les films recommandés.

Nous le savons tous·tes : le renouvellement du public et la stabilité économique de nos salles s’appuient sur un équilibre entre films porteurs et films de découverte. Il ne faudrait pas pour un effet d’annonce cristalliser toute l’attention sur ces quelques films, pourtant nécessaires aux salles classées, et se détourner des nombreux autres enjeux que cette réforme doit embrasser.

Le calendrier est connu, le CNC espère entériner la future réforme pour son Conseil d’administration de mars 2024. Cela va arriver rapidement et nous sommes à votre écoute pour échanger sur nos propositions, recevoir vos commentaires et préparer avec vous ce qui pourrait être un changement majeur dans la vie de vos salles.

Cet éditorial a été rédigé à 100 % sans ChatGPT.

Guillaume Bachy, président de l’AFCAE
Edito CAE n°293 – Novembre 2023

Edito

De l’investissement à la récompense

Après la Bretagne en 2023, c’est dans l’est de la France, à Strasbourg, que se tiendront cette année les 23e Rencontres nationales Art et Essai Patrimoine/Répertoire.

Lire la suite